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DOLORES - Salsa & Guaracha from 70's French West Indies - CD

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Audio CD SKU : BB0183CD
    Date de sortie
  • 12 septembre 2025
Description

En Guadeloupe, ils sont plus d’un à penser que le jazz et le ka, c’est bague et doigt. On pourrait aisément appliquer pareille sentence entre les musiques dites latines et celles du terroir des Antilles Françaises, tant le cousinage sonne de la plus belle évidence entre ces deux esthétiques cousines, nées dans l’arc caribéen. En la matière, des plus fécondes, les exemples sont légion qui illustrent une histoire de connexion frappée du sceau du bon sens commun. Et cela ne remonte pas à hier quand on songe au fait que la contredanse pratiquée dans les salons européens prit pour noms kadrille en Martinique et contradanza à Cuba, toutes deux fondées sur l’ajout de percussions héritées de la déportation transatlantique. Comment en effet imaginer que ces deux entités n’aient pas une base de dialogue naturelle, sur la foi de sentiments partagés autour d’une même identité traumatisée, puis créolisée ?

La question est d’ailleurs vite tranchée si l’on se remémore l’âge d’or des orchestres qui firent les belles nuits du Pigalle de l’entre-deux-guerres. Don Barreto, natif de La Havane, mêla ainsi naturellement dès les années 1930 danzón et biguine, dans son combo basé au Melody’s Bar. Et dans la décade suivante, Félix Valvert, chef d’orchestre grandi à Basse-Terre en Guadeloupe, fit merveille avec l’orchestre bigarré de la Coupole, à Montparnasse. Il n’était pas rare que les musiciens de la sphère afro-caribéenne soient associés dans des sections, rythmiques comme soufflants, censées animer les bals typiques de la capitale : Le Rico Creole’s Band en est un exemple, dès les années 1930, tout comme celui du violoniste-clarinettiste martiniquais Ernest Léardée, futur roi de la biguine, accueillait au Bal Blomet des Caribéens de toute provenance, du type susceptibles de satisfaire ces Zazous-là, pour paraphraser la biguine-calypso de celui qui deviendra l’Oncle Ben’s, sinistre stigmate des a priori post-coloniaux.

Aux Antilles l’histoire s’accélère à partir des années 1950, avec l’accroissement des échanges commerciaux et l’essor des ondes radio. Sur les bons vieux postes à galène, les jeunes Guadeloupéens et Martiniquais se branchent sur les musiques sud-américaines et caribéennes, tandis que les pacotilleuses, ces femmes, commerçantes qui allaient d’île en île, achetant des marchandises ici, pour les revendre ailleurs (« le plaisir est dans le changer de mains »), rapportent dans leurs bagages des sons. C’est le cas de Mme Balthazar de retour de Porto Rico avec les premiers 45-tours et 33-tours sur le sol martiniquais… De cette aventure naîtra d’ailleurs le fameux label martiniquais La Maison des Merengues, une affaire qu’elle entreprendra avec son mari et qui fera date. 

En cette fin des années 1950, Marius Cultier glane haut la main le premier prix du Piano International Contest in Puerto Rico : au programme une version du Round 'Midnight de Monk. Cette distinction annonce tout ce qui va suivre quand on mesurera bientôt que Cultier, comme l’hérétique moine du jazz, a dans les mains une faculté à écrire de superbes mélodies, toujours avec un décalage qui leur donne cette touche unique. Bientôt l’autodidacte surdoué accompagnera Los Cubanos et se fera remarquer pour sa faconde sur les merengues. On connaît la suite. Toujours à l’orée des années 1960, Frantz Charles-Denis, plus reconnu sous le prénom de Francisco, né dans la haute bourgeoise de Saint-Pierre, est rentré au pays après avoir pratiqué la Cabane Cubaine, rue Fontaine, où il a chopé la fièvre latine. Résultat : Francisco imprime sa marque de fabrique, à l’image des cousins cubains, et les combos qu’il pilote affichent une différence de style qui sonne l’heure du renouveau. Ça swingue dru du côté de la Savane, la grand place de Fort-de-France. Et c’est précisément à quelques brassées de là qu’il va monter le Shango, où il teste une nouvelle formule, la biguine lélé, fortement épicée de rythmiques latinos pour celui qui ne tardera pas à s’envoler pour Porto-Rico puis au Venezuela. Quant au percussionniste (entre autres activités) Henri Guédon, né à Fort-de-France le 22 mai 1944, jour anniversaire de l’abolition de l’esclavage, il se souvenait à l’hiver de sa vie que « dans le Teppaz paternel tournait un 6/8 trépidant… » Les premières lignes de sa “Lettre à Dizzy”, un petit recueil illustré de dessins (Del Arco), témoignent du déclic que produit en 1960 le cubop sur cet adolescent, futur lider maximo de la Contesta, big band imbibé de latin jazz et géniteur du mot zouk, qui va apporter le son du barrio new-yorkais en terre parisienne. Comme l’aboutissement d’un parcours commencé du côté de Sainte-Marie, « lieu mythique du bélé, l’équivalent du guaguancó cubain ».

Au début des années 1960, alors que l’économie tertiaire se développe au détriment des activités agricoles, terroir fertile des musiques racines en Martinique comme en Guadeloupe, des maisons de disques vont jouer le rôle de catalyseur de la vague des versions latines, qui déferlent sur les îles comme partout ailleurs. Il y eut notamment le producteur Célini (le formidable label Aux Ondes) et Marcel Mavounzy, frère du fameux soufflant Robert et patron des disques Émeraude, firme créée en 1953. Il y en aura bien d’autres, dont on trouve traces ici même, mais on ne manquera pas de pointer le rôle majeur d’Henri Debs qui se lance dans l’aventure discographique, avec un tel écho qu’il sera comparé par certains à Berry Gordy. Celui dont les premières compositions (un boléro et un chachacha alors qu'il vient d'acquérir son premier Teppaz) remontent au milieu des années 1950 sera le passeur des musiques caribéennes, le calypso comme le merengue, pas peu fier d’accueillir in situ des membres de la Fania All Stars, allant très tôt acheter ses disques à San Juan (Porto Rico) et les diffusant bien vite aussi à Fort-de-France via une enseigne tenue par un de ses frères. C’est aussi lui qui sera bientôt tout ouïe de la musique haïtienne, le compas direct puis les cadences qui vont sitôt inonder le marché. Résultat : nombres des combos passés en son mythique studio seront dopés à la variété des rythmiques « afro-latines ». Et ce sans renier son identité : les tambours gwo ka, instruments longtemps bannis des circuits « officiels », y tiennent une bonne place.

C’est ce fourmillement créatif dont témoigne cette présente sélection, quatorze titres pour un brassage aussi intempestif qu’inédit, où toutes les musiques de l’archipel créole entrent à un moment ou à un autre en piste. Qu’elles soient d’essence rurale ou d’extraction plus urbaine, toutes rappellent « la trace du chant confisqué par l’esclavage » dont parlait Edouard Glissant lors d’un entretien autour de la place de musiques antillaises dans la sphère afro-américaine. « C’est le cas du jazz, mais aussi du reggae, du calypso, de la biguine, de la salsa… Cette trace s’exprime aussi dans les tambours : guadeloupéen, dominicain, jamaïcain, cubain… Aucun n’est le même, tous repartent de cette idée de trace, la cherchent et se mettent en relation. C’est cela qui est la marque de la diaspora africaine : cette capacité à créer de l’inédit par rapport à elle-même à partir d’une trace. Ce peut être le souvenir d’un rythme, la fabrication d’un tambour, une manière de dire qui utilise non pas l’ancienne langue mais les modalités de celle-ci. »

En ouverture, on retrouve ainsi l’un des orchestres emblématiques de cette identité esthétique aux intersections de bien des musiques de ce prolifique archipel. Malavoi, mythique groupe foyalais, interprète en 1974 une superbe guajira de Ray Barretto, tambour majuscule de la scène new-yorkaise qui fut biberonné de Charlie Parker et Chano Pozzo. Et comme un symbole de cette réunion, la conclusion de cette compilation est signée par Los Martiniqueños de Francisco. Poteau mitan de la culture martiniquaise et militant impénitent des musiques afro-caribéennes, pratiquant les rondes de danmyé (sorte de capoeiria) au rythme du tambour bèlè, ce dernier envoie une terrible Caterete, une espèce de champeta d’obédience afro-colombienne composée par le Colombien Fabián Ramón Veloz Fernández pour le groupe Wgenda Kenya. Cerise sur le gâteau : le Brésilien Marku Ribas qui trouva refuge en Martinique au début des années 1970, donne de la voix sur ce titre qui incite à la transe.

Ces deux « versions » fournissent le diapason de cette sélection, composée entre raretés et classiques du genre tropicalisé. Un cocktail que les Antillais ne manquent jamais d’épicer de leurs propres ingrédients, accents toniques comme rythmiques alambiquées. C’est le cas de la reprise de Dónde, célèbre thème cubain composé par le producteur Ernesto Duarte Brito, violon typique et voix piquante – Joby Valente, chanteuse martiniquaise de renom – pour ce qui est à notre connaissance l’unique 45-tours des Los Caraïbes. Quant à L’Ensemble Tropicana, qui regroupait des Haïtiens à l’instar du compositeur et leader Michel Desgrotte, son explicite Amor en chachachá rappelle au milieu des années 1960 la persistance de cette musique sous les tropiques. Ils firent danser aussi bien le Cocoteraie de Guadeloupe que la Bananeraie en Martinique. A la même époque, un autre band « étranger », le Ryco Jazz du Congolais Freddy Mars N’Kounkou, fit des passages remarqués dans les deux îles, parcourant lui aussi les classiques latin jazz à l’image de cette adaptation du Wachi Wara, une soul sauce de Dizzy Gillespie et Chano Pozo. Difficile de ne pas s’élancer sur la piste aux sons entremêlés des cordes et percussions. Tout comme on ne résiste pas à Dap Pinian, un surpuissant guaguancó d’Eugene Balthazar par l’Orchestre Tropicana publié sur la Maison des Merengues, fondée en Martinique. Tout un symbole du maelstrom à l’œuvre.

Sous le nom de Paco et L'orchestre Cachunga, Roger Jaffory s’adonne tout autant au guaguancó, avec Oye mi consejo, un titre d’inspiration de la Fania, entre autres. Baila !!!!! La danse, c’est aussi tout l’à-propos des Kings – pas moins – qui interprètent Oriza, une bomba portoricaine du trompettiste nuevayorquino Ernie Agosto, un « classique » au lustre bien cuivré. C’est aussi dans le chaudron des barrios new-yorkais que La Perfecta, groupe martiniquais originaire de la Trinité, a trouvé son nom, référence directe à La Perfecta du totémique Eddie Palmieri. Les voilà ici qui empruntent Toumbadora au producteur et compositeur colombien Efraín Lancheros, où plus encore que les soufflants ce sont les percussions qui alimentent le feu. On en dira tout autant des Super Jaguars de la Martinique qui prennent prétexte de Tatalibaba, une composition du guitariste Cubain Florencio « Picolo » Santana, rendu célèbre par Celia Cruz & La Sonora Matencera, pour envoyer des cadences infernales. Dans un registre plus typiquement salsa, le Super Combo, fameux orchestre guadeloupéen originaire de Pointe-Noire et formé autour de la famille Desplan, Roger Plonquitte et Elie Bianay, adapte Serana, un thème de Roberto Angleró Pepín, compositeur, chanteur et musicien portoricain connu également pour son titre Soy Boricua. Là encore, leur vision n’est pas loin de surpasser l’originale.

Au virage relevé des années 1970, L’Ensemble Abricot fut le temps d’une poignée de titres au sommet de cet art de varier les plaisirs : boléros, biguines, compas direct, guaguancó et puis un bon vieux boogaloo, « pour toujours » comme ils disent en chœur. L’ensemble martiniquais rassemblé autour de Léon Bertide excelle sur celui composé par le saxophoniste portoricain Hector Santos pour le mythique groupe El Gran Combo. Trois ans plus tard, en 1972, Henri Guédon s’attaque au Bilongo rendu célèbre par Eddie Palmieri, avec le soutien de Paul Rosine au vibraphone. Classique !!!!! Un qualificatif qui colle aux Aiglons guadeloupéens. Suivant un tempo plus à la coule que l’original – à commencer par le clavier merveilleusement (dé)calé en lieu et place de l’accordéon –, ils rejouent Pensando en tí, composition du Dominicain Aniceto Batista. Sur l’étiquète du 45-tours des plus recherchés, le premier publié par Les Aiglons sous étiquète Duli Disc, le titre est placé sous l’appellation générique « afro ». Tout un symbole.
Jacques Denis

Tracklist
1. MALAVOI - Te Traigo Guajira
2. LOS CARAIBES - Donde
3. TROPICANA - Amor en Chachacha
4. RYCO JAZZ - Wachi Wara
5. EUGENE BALTHAZAR - Dap Pignan
6. ROGER JAFFORT - Oye Mi consejo
7. LES KINGS - Oriza
9. LES SUPERS JAGUARS - Tatalibaba
10. SUPER COMBO DE POINTE A PITRE - Serrana
11. L'ENSEMBLE ABRICOT - Se Quedo Boogaloo
12. HENRI GUEDON - Bilonga
13. LES AIGLONS - Pensando en Ti
14. LOS MARTINIQUENOS - Caterate

( Titre 10 = Bonus CD)


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